En cas de démembrement de la propriété d’un local commercial, seul l’usufruitier doit payer l’indemnité d’éviction due au locataire commercial, même si le congé avec refus de renouvellement a été donné conjointement par l’usufruitier et le nu-propriétaire
L’usufruitier ne peut consentir ou renouveler un bail commercial sur l’immeuble démembré qu’avec le concours du nu-propriétaire ou après y avoir été autorisé par le juge (C. civ. art. 595 et Cass. 3e civ. 24-3-2019 n° 07-16.856 : RJDA 5/99 n° 525) mais il a le pouvoir de mettre seul fin à ce bail.
Pourtant, c’est ensemble qu’un nu-propriétaire et un usufruitier d’un local commercial délivrent au locataire un congé avec refus de renouvellement du bail. Une cour d’appel en déduit qu’ils doivent être condamnés in solidum à payer l’indemnité d’éviction.
La Cour de cassation censure cette décision : l’usufruitier a seul la qualité de bailleur, dont il assume toutes les obligations à l’égard du locataire. Il est donc seul redevable de l’indemnité d’éviction, qui a pour objet de compenser le préjudice causé au locataire par le défaut de renouvellement du bail. Par suite, le nu-propriétaire ne pouvait pas être condamné in solidum avec l’usufruitier au paiement de cette indemnité.
A noter : En cas de démembrement de propriété, c’est en principe l’usufruitier qui, ayant la jouissance du bien, peut louer celui-ci. Pour protéger le nu-propriétaire, cette règle est toutefois exclue en ce qui concerne les baux ruraux et commerciaux (C. civ. art. 595). Ainsi, l’usufruitier ne peut ni conclure ni renouveler un bail commercial sans le concours du nu-propriétaire, pas plus qu’il ne peut exercer son droit de repentir s’agissant d’un tel bail (Cass. 3e civ. 31-5-2012 n° 11-17.534 FS-PB : RJDA 10/12 n° 834). Le droit au renouvellement du bail dont bénéficie le locataire survit en effet à l’usufruit. En l’absence d’autorisation du nu-propriétaire ou d’autorisation judiciaire permettant de s’en dispenser, le bail est nul (Cass. 3e civ. 19-10-2017 no 16-19.843 F-D : RJDA 2/18 n° 106).
Cette double autorisation étant édictée dans l’intérêt du nu-propriétaire, elle n’est pas exigée en cas de rupture du bail : il est ainsi admis depuis longtemps que l’usufruitier peut exercer seul une action en résiliation du bail commercial (Cass. 3e civ. 4-5-1976 n° 74?13.538 : Bull. civ. III no 186), délivrer congé au locataire (Cass. 3e civ. 29-1-1974 n° 72-13.968 : Bull. civ. III n° 48), et lui notifier un refus de renouvellement du bail puisque le refus de renouvellement a les mêmes effets qu’un congé (Cass. 3e civ. 9-12-2009 n° 08-20.512 : Bull. civ. III n° 270).
L’originalité de l’affaire tenait ici au fait que le refus de renouvellement avait été délivré conjointement par l’usufruitier et le nu-propriétaire. Cette circonstance suffisait-elle à les rendre, l’un et l’autre, débiteurs de l’indemnité d’éviction ? Non, répond la Haute Juridiction. L’indemnité d’éviction, qui a pour objet de compenser le préjudice causé au locataire par le défaut de renouvellement du bail (C. com. art. L 145-14), est à la charge du bailleur. Or, en cas de démembrement de propriété, seul l’usufruitier a la qualité de bailleur (Cass. 3e civ. 13-12-2005 n° 04-20.567 F-D).